Report des épreuves de spécialité en juin 2024 : 3 films au bac

Mis à jour le dimanche 17 septembre 2023 , par Marina Legal

Suite au report des épreuves de spécialité, l’épreuve en cinéma-audiovisuel comportera les 3 films prévus initialement.
 

Secret beyond the door (Le secret derrière la porte) de Fritz Lang, 1947

Réalisé par Fritz Lang en 1947 et sorti en août 1948, Secret beyond the door (Le secret derrière la porte) est le douzième film de la période américaine du cinéaste exilé en Californie entre 1935 et 1956, après un passage d’un an en France où il dirige Liliom (1934).

Adaptation très libre du conte populaire Barbe bleue ou encore de Jane Eyre de Charlotte Brontë, Secret beyond the door met en scène Celia, une jeune new-yorkaise, riche, élégante, qui, lors d’un voyage au Mexique, tombe amoureuse de Mark Lamphere, architecte, qui la demande en mariage. Lors de leur lune de miel, les premiers comportements étranges de son époux commencent à étonner la jeune femme, qui découvrira par la suite que, dans les étages inférieurs de sa demeure, il a reconstitué des chambres dans lesquelles de célèbres meurtres ont été commis. Seule la chambre VII n’est pas visible et personne ne sait ce qui se cache derrière sa porte...

Traduisant l’intérêt du cinéaste pour la psychanalyse et le rôle de l’inconscient, cette œuvre plastique de Fritz Lang, à la dramaturgie parfaitement construite, s’attache à la mise en scène de la subjectivité à l’écran. Aussi n’est-il pas sans dialoguer avec deux films du grand maître anglais, Rebecca et Spellbound (La maison du Docteur Edwardes), sortis respectivement en 1940 et 1945.

Quoiqu’œuvre à suspense, à l’ambiance mystérieuse et inquiétante, Secret beyond the door n’est pas pour autant à ranger au nombre des films noirs américains : il n’en est qu’à la lisière. Il appartient, en réalité, au genre du mélodrame dit « gothique de femme » : construit sur des thèmes et des motifs troublants que l’on retrouve de façon récurrente - l’innocence d’une épouse confrontée aux lubies étranges d’un mari visiblement déséquilibré -, et qui sont créateurs de tensions, parfois insoutenables, pour le spectateur. Fritz Lang, au fil du temps, de la première période allemande à la seconde en passant par la césure américaine, devenu maître du film criminel qui manipule le spectateur, a su en instaurer les codes, faire varier les approches et renouveler les formes narratives.

C’est pourquoi, pour étudier ce film avec les élèves de l’enseignement de spécialité CAV, on privilégiera deux questionnements : « transferts et circulations culturels » et « un cinéaste au travail ».

On étudiera plus particulièrement Secret beyond the door dans la perspective des questionnements suivants  :

  • Transferts et circulations culturels

Les formes, les références et les motifs issus de la culture européenne du cinéaste se confrontent aux codes du film de genre hollywoodien dans un jeu intertextuel virtuose : entre « naturalisation » et « hybridation », Lang s’approprie autant ce qui vient de sa culture d’origine que celle de son pays d’adoption, en créant une œuvre totalement singulière, relevant d’un « gothique » romantique et vénéneux.

De manière sous-jacente, le cinéaste allemand y joue une confrontation secrète avec l’autre grand cinéaste émigré aux États-Unis, Alfred Hitchcock : entre hommage, concurrence et dialogue meta, Secret beyond the door répond aux célèbres pièges narratifs et cinématographiques hitchcockiens sur les abîmes du subconscient, voire les devance. 

Lang n’en poursuit pas moins l’exploration profonde de ses propres obsessions morales et esthétiques, en convoquant toute sa filmographie antérieure : depuis Mabuse ou M, l’enjeu des images et des formes langiennes reste l’épreuve du regard, entre sidération, fascination libératrice ou jugement mortifère.

  • Un cinéaste au travail

L’analyse de la genèse et de la production du film, appuyée notamment sur des documents spécifiques (notes de travail, extraits de scenarii, plans au sol, documentaires, interviews de Lang, dans Le Dinosaure et le Bébé, notamment), permet de retracer les différentes étapes de la fabrication maniaque et géniale d’un chef-d’œuvre. Entrer dans la carrière de Lang, c’est éprouver et analyser pas à pas la valeur des différents choix opérés par l’auteur pour affirmer son point de vue et assurer la cohérence de la direction artistique. 

Se pose en particulier la question de la maîtrise d’ouvrage d’un cinéaste exilé au sein de la machine à rêve hollywoodienne : il ne suffit certes pas à dire que Lang l’exerçait de manière tyrannique pour s’en débarrasser. Comment garder le contrôle ? C’est un enjeu que toute la carrière américaine de Lang s’attache à poser, à travers ses succès, ses ratés et ses stratégies. 

I Vitelloni (Les Vitelloni) de Federico Fellini, 1953

I Vitelloni, le troisième film de Federico Fellini (Rimini, 1920 - Rome, 1983), n’appartient pas à ce que l’on appelle communément « l’âge d’or du cinéma italien », qui débute avec les années 60, mais il s’inscrit dans une époque où le cinéma italien commence à rompre avec le néo-réalisme d’après-guerre. Les premières transformations sont perceptibles à l’orée des années 50 dans Miracle à Milan de Vittorio de Sica (1951), œuvre dans laquelle le réalisme se mêle au merveilleux, dans Stromboli de Rossellini (1950) ou encore dans Bellissima de Visconti (1951), où « la représentation du collectif s’étiole au profit de portraits individuels ». Elles se poursuivent avec la rupture politique que peut marquer en 1952 Umberto D. ou encore l’année 54 qui connaît la sortie conjointe de films aussi différents que La Strada de Fellini, Voyage en Italie de Rosselini, Senso de Visconti ou encore Un Américain à Rome de Steno.

I Vitelloni se situe au tournant : sorti en 1953, l’action du film se déroule au cours de cette même année - la première scène se passe pendant l’élection de « Miss Irena 1953 » - et elle met en scène un type de personnage nouveau, « les gros veaux », que le titre français a rendu par « Les inutiles » : cinq hommes, « Tanguy » de leur génération, bien que trentenaires, vivent aux crochets de leur famille et passent leur journée en déambulations dans la ville ou sur la plage, en jeux, festivités diverses et flirts incessants. Ils sont hâbleurs, trompent, mentent, corrompent, volent, rien ne les arrête pour que, coûte que coûte, leur vie se déroule dans le farniente et les plaisirs épicuriens. « J’ai toujours raconté l’histoire du mâle italien, lâche, égoïste et puéril. Les femmes de mes films sont toujours vues à travers les yeux d’un protagoniste masculin qui est prisonnier de certains tabous, conditionné par une éducation catholique [...] », commente Fellini. Pour autant, les personnages féminins ne sont pas particulièrement mis en valeur dans I Vitelloni : Sandra, l’épouse de Fausto, le « gigolo », est d’une naïveté à faire pleurer, quant à Olga, la sœur d’Alberto, fainéant et profiteur, gardien de la morale catholique, subit les défauts et les critiques de son frère sans sourciller, l’entretenant autant que de besoin. Confusément pourtant, ces personnages sont en quête d’une transcendance et d’une grâce (comme dans la scène burlesque du vol de l’ange) qui se trouvent caricaturées à leur contact et qui semblent les fuir. 

Ce film, constitué de saynètes qui s’enchaînent les unes aux autres, nous faisant passer d’un moment de vie d’un personnage à un autre, d’une scène entre les cinq amis à une autre, mime l’ennui et l’écoulement du temps dans une ville de province, probablement Rimini, que connaît bien le réalisateur puisqu’il y est né. Comédie, traversée par des scènes qui ne sont pas sans rappeler le mime - on pense par exemple à la scène dans laquelle Alberto se moque grossièrement des « lavatori » -, où les personnages (et le spectateur) s’amusent, I Vitelloni a aussi la saveur du drame que l’esthétique en noir et blanc, le jeu des ombres et des lumières viennent souligner - cf. la scène entre Sandra et Fausto à la sortie du cinéma ou la chambre de Moraldo écoutant sa sœur pleurer - et qu’annoncent l’orage interrompant brutalement les festivités de la première scène ainsi que le motif, très fellinien, du « vent qui vient de la mer » et balaie tout sur son passage. Combien de temps pourra vraiment durer cette vie corrompue et idiote ?

La musique du film, celle de Nino Rota, qui travailla avec Fellini du Cheik blanc en 1952 à Répétition d’orchestre en 1978, signa plus de 170 musiques de film et fut célébré aux Oscars de 1972 pour celle du Parrain, met en évidence cette oscillation entre comédie et drame : musique de cirque, elle peut également être symphonie aux notes inquiétantes, tristes ou mélancoliques. On notera également qu’à deux reprises, notamment dans la grande scène du Carnaval, c’est la célèbre Nonsense Song que chante Charlot dans Les Temps modernes qui accompagne le bal où les couples, dansent joyeusement, se lient et se délient, cette musique, au titre signifiant, venant comme illustrer la thématique centrale du film. Ce sera le personnage le moins « Vitellono » des cinq qui quittera cette vie de non-sens : le frère de Sandra, Moraldo, s’en va en train, les bruits de la locomotive venant se poser sur les images de ses compagnons dormant dans la sérénité illusoirement retrouvée.

On étudiera plus particulièrement I Vitelloni dans la perspective des questionnements suivants :

  • Périodes et courants

Si le film s’éloigne du néo-réalisme historique, lié au droit d’inventaire par le regard d’une nation en reconstruction, il n’en récupère pas moins certains traits caractéristiques (la peinture sociale, le bilan d’une époque, l’inscription dans un paysage - fût-il urbain) que Fellini fait sien et accommode de sa tonalité propre : autant Rossellini avait lancé, avec Rome ville ouverte, le néo-réalisme sur la voie d’un art de la juste distance, à la fois proche et loin, autant Fellini ne craint plus l’empathie, l’outrance, voire la nostalgie teintée de souvenirs personnels, avec ses vilains garçons.

À travers ces comparaisons de part et d’autre de la fin officielle du néo-réalisme, ce sont bien les mutations d’un courant cinématographique, principal vecteur de renouveau du cinéma de l’après-guerre, qui méritent d’être interrogées, et, au-delà, la manière dont s’écrit l’histoire du cinéma : par glissements et pivots autour d’œuvres centrales plutôt que par ruptures. 

  • Un cinéaste au travail

L’analyse de la genèse et de la production du film, appuyée notamment sur des documents spécifiques (notes de travail, extraits de scénarios, dessins préparatoires), permet de retracer les différentes étapes de la fabrication d’un chef-d’œuvre.

Se pose en particulier la question de la continuité fascinante de l’imaginaire fellinien à toutes les étapes d’élaboration du film : dès les dessins préparatoires, le film est là, dans une cohérence qui donne à ce processus créatif les allures d’une création continuée - qui pourra nourrir en retour celui des élèves.

High School de Frederick Wiseman, 1968

1968. La France connaît l’un des mouvements sociaux les plus importants de son histoire durant lequel éclate la révolte des étudiants qu’accompagnent manifestations d’ampleur et grève générale. Aux États-Unis, alors que le pays est massivement engagé dans la guerre du Vietnam, on prend conscience, à la suite de l’offensive du Tết, de la force militaire du Viêt-cong qui parvient à occuper pendant plus d’un mois les faubourgs de Saïgon et la citadelle de Hué, tuant quelque trois mille personnes liées à la république du Vietnam. Les mouvements d’opposition, notamment estudiantins, sont de plus en plus massifs : des campus sont occupés, celui de Colombia en avril, et de fréquents affrontements opposent les jeunes et les forces de police, comme à Chicago à la fin du mois d’août. Au cœur de cette tourmente, le Civil Rights Movement se poursuit, et l’année 68 est marquée par l’assassinat de Martin Luther King, le 4 avril. C’est au cœur d’une vague d’émeutes que le président Johnson promulgue, le 11, le nouveau Civil Rights Act. Deux mois auparavant, en février, la Nasa présente les cinq sites d’atterrissage potentiels sur la lune, quand, le 21 janvier, Simon and Garfunkel sortent l’album The Graduate, qui contient le célèbre « Mrs Robinson » et s’empare, en avril, de la première place du Billboard 200.

Tous ces événements traversent High School, le deuxième film documentaire de Frederick Wiseman, mais à bas bruit, soit subrepticement comme par flash (« Le Club du Spectateur va discuter de l’assassinat de Martin Luther King », 58’07-58’13 ; la présence soudaine d’un policier dans un couloir de l’établissement, 58’14-58’22), soit dans des séquences qui y renvoient plus ou moins directement (« Qui serait membre d’un club où il y aurait une minorité de noirs [...] et d’un club dont la moitié des membres serait noire, l’autre blanche ? [...] Combien refuseraient ? Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse », 52’32-53’14 ; la séquence consacrée au projet SPARC, 1’05’44-1’08’56 ; la séquence finale consacrée à la lecture publique de la lettre de Bob Walters, ancien élève du lycée, qui s’engage au Vietnam, 1’10’19-1’14’12). De fait, Northeast, lycée d’enseignement secondaire public de Philadelphie en Pennsylvanie, que le cinéaste filme pendant cinq semaines entre mars et avril 1968, ne semble pas vibrer des révoltes qui grondent à l’extérieur (« Le lycée Northeast est un endroit si cloîtré, si retiré. », 53’47). Sans voix off ni musique, sans aucun accompagnement - à la manière d’un Charles Reznikoff, ce poète objectiviste américain qui accueille dans sa poésie, matériaux bruts, les témoignages entendus lors de procès sans ajouter un mot qui lui soit propre -, le film, qui va fonder le cinéma vérité, avec une méthode reprise par Richard Leacock en Angleterre et Raymond Depardon en France, est comme dédramatisé et neutre.

Néanmoins, cette neutralité, cette objectivité d’un réalisateur qu’on a le sentiment de ne pas sentir n’est qu’apparence. C’est pourquoi, afin d’en cerner la construction et l’expression d’une part, et la réception d’autre part,

on étudiera plus particulièrement High School dans la perspective des questionnements suivants :

  • Un cinéaste au travail et
  • réception et public

Pour ce faire, on étudiera le découpage des séquences et le montage, qui, jouant par capillarité, sont la plupart du temps porteur de sens. On pourra, par exemple, mettre en évidence l’opposition entre l’apparence et la réalité que révèle le passage de la séquence chorale (53’15-53’44), où les élèves répètent studieusement sous la baguette de leur professeur, à celle qui montre un étudiant, aux lunettes noires tel John Lennon, exprimant, devant ses camarades et son enseignante, sa colère au sujet de ce lycée-cloître, de ce « lycée qui pue » (54’24). Par ailleurs, on interrogera les effets et les symboliques des gros plans, constants dans le film, sur des parties du corps - les oserait-on toutes aujourd’hui ? -, sur des visages, de face ou de profil, sur des bouches qui parlent (1’29), qui chantent (53’37), sur des yeux et des regards, que parfois dérobent voire déforment des lunettes d’un autre âge (41’29) ou qui révèlent des pensées en train de se faire (36’54), des imaginaires en fuite (37’03), sur des gestes d’apprentissage (18’57-19’07), mais aussi sur de multiples objets personnels et quotidiens.

On réfléchira enfin au choix du (presque) huis clos. En effet, le lycée apparaît à l’écran davantage comme une sorte de citadelle, entourée de ses remparts grillagés, le travelling horizontal de la séquence d’ouverture (00’38) plantant le décor, avec ses longs couloirs à l’allure de couloirs de prison, souvent vides (37’30), dans lesquels une figure d’autorité est susceptible de demander aux étudiants s’ils ont un « laissez-passer » (13’09-14’38). Un lycée « moralement et socialement, poubelle » (56’49), dans lequel on enseigne le fait que « le monde vous reconnaît selon vos résultats » (8’40), que « tenue de soirée » signifie robe longue ou smoking (29’04-32’19), que « si un couple vit ensemble, la société considère qu’ils sont mariés, et c’est ainsi formidable : la société sait prendre soin d’unions régulières, responsables et stables » (26’56), que « plus un garçon ou une fille a de rapports avant le mariage, moins ils feront de bons partenaires de mariage » (59’24). Un lycée dans lequel, en présence de la mère dont le gros plan sur le regard semble trahir les pensées (45’08), une probable conseillère d’orientation pose au seul père « la question cruciale : "de quel budget disposez-vous pour les études de votre fille ?" » (45’01).

Au fil du propos du film, sans éclat ni coup de force, ce sont bien les stéréotypes de classes, de genres, de pouvoir, qui sont démontés et révélés, et notamment ceux que véhiculent le modèle éducatif à l’œuvre. « En matière d’éducation, de ses relations avec le monde d’aujourd’hui, ce lycée est pitoyable, c’est un vrai cloître. Il est complètement coupé de ce qui se passe dans le monde. Il faut changer ça. C’est notre but ici. Et non pas de parler cinéma. » (54’33-54’46). Et la fin du film de venir confirmer cette hypothèse : à la suite de l’expression publique de satisfaction d’un membre de la direction (ou d’une professeure) devant l’engagement d’un ancien élève au Vietnam (« Le fait de recevoir une telle lettre me fait penser que nous avons réussi notre travail, ici, au lycée Northeast », 1’14’00-1’14’10), le cinéaste coupe avant toute éventuelle réplique de la part des lycéens que, par ailleurs, tout à fait exceptionnellement, il choisit de ne pas montrer. Leur réponse est comme volée par l’adulte (« Je pense que vous en conviendrez », 1’14’11), mais le découpage de la séquence ouvre à des horizons de grogne possibles. Y a-t-il pour autant un jugement de la part de Wiseman ? Sans doute pas au sens où il chercherait à nous imposer son point de vue. La discrétion de celui-ci, même dans l’efficace des visibilités restaurées, vise sans doute surtout à éveiller notre faculté de juger et à nous laisser maîtres du final cut moral.

On s’en doute, au moment de sa sortie, le film a été fort mal perçu par le personnel de l’établissement qui menaça Frederick Wiseman de poursuites judiciaires. Il ne sera pas projeté à Philadelphie. Pourtant, c’est une méthode qui s’invente ici et se perfectionne : des cinéastes héritiers qui la déclineront (et même à notre époque, notamment avec Claire Simon) jusqu’aux sociologues qui se l’approprieront, la réception de High school est vivante et complexe.